Plateau des Bolovens en 2 roues, jeux d’eau (cascades, orages et baignades)
Notre première étape nous mène jusqu’à Tadlo dans une lumière déclinante et sans que l’on sache vraiment si l’on chasse ou si l’on fuit l’orage qui s’annonce. Juste devant nous, horizon de notre route, un gros nuage emplit le ciel. Sa base bleue foncée tend à se confondre avec les couleurs du ciel de fin de journée et il semble coiffé d’un toupet blanc, chapeau de chou à la crème. Des éclats de lumière répétée viennent en illuminer l’un ou l’autre recoin, répercussions d’éclairs qui doivent déchirer le ciel de l’autre coté sans que l’on puisse les voir. Impression un peu étrange qu’une force est à l’ouvrage, cachée dans ses replis cotonneux… Héphaistos est-il occupé à jouer du marteau et de l’enclume ? Nous fuyons sa violence qui annonce des trombes d’eau mais sitot les affaires déposées à l’abri,nous le pisterons pour nous repaitre du spectacle saisissant qu’il nous offre. Tonnerre vrombissant, roulement de tambour, éclairs fantastiques marbrant la nuit naissante… mais point d’eau pour nous, l’orage passera en nous évitant.
L’étape de Tadlo nous offre d’autres promesses d’eau avec plusieurs cascades que la saison sèche a mis à l’épreuve mais n’a pas réduites au silence. Celle de Phaxuam, en tout cas, débite une grande quantité d’eau ; celle-ci vient se fracasser sur des rochers quelques mètres plus bas avant de s’engouffrer dans un petit canyon dont les falaises présentent, à mon sens, un aspect d’orgues de basalte mais je suis peut-etre en train d’écrire là une aberration géologique.
A plusieurs kilomètres de là, la beauté de la cascade de Tat Suong justifie la difficulté à la trouver. Elle est vertigineuse quoique réduite à deux minces filets d’eau. Chutant d’une falaise verticale d’une centaine de mètres, ceux-ci semblent prendre leur envol avant de tomber au ralentis en une pluie scintillante. Nous sommes au-dessus de l’à-pic et nous approchons du bord à plat ventre, la vue est dégagée et le vide saisissant : la falaise semble avoir été coupée net. Pour couronner le tout, la force du vent détourne pour nous des centaines de goutelettes qui remontent vers nous pour nous rafraichir.
Un autre jour nous amène une autre cascade sur la route d’Attapeu. Une rivière se dédouble en deux chutes qui se jettent dans deux bassins semblant propices à la baignade. Un groupe est d’ailleurs déjà dans l’eau, filles vetues des pieds à la tete, moine s’étant fait un maillot de bain d’un pan de son tissu safran, petit bout exécutant des plongeons spectatulaires… Mais Fred ne se laissera pas tenter : il a lu dans le guide qu’il y a ici des petits poissons alpinistes de l’intimité masculine… Idee fixe qui ne le lachera pas lorsque, le soir venu et notre étape ralliée, je me baignerai dans la rivière. Il préfèrera alors photographier les nuages. A sa décharge le jeu du soleil dans les masses ouateuses qui s’accumulent pour offrir l’ondée quasi quotidienne offre un spectacle qui vaut le coiup d’oeil ; les rayons qui percent le voile qui nous cache le soleil font apparaitre toute une palette de bleus tandis que les bords du nuage semblent ourlés d’or. Couronne solaire pour petit nuage blanc.
La plus belle chute sera pour le lendemain lorsque, pour rejoindre Pakson, nous nous enfoncerons dans la foret sur une petite piste rouge, suivant ainsi sur 70 kilometres les caprices du dénivelé sur fond de montagnes bleutées. Quelques dizaines de mètres à pieds en s’éloignant de la piste sur un petit sentier caché, une trouée dans la végétation et Katamtok apparait. Les cascades ont choisi comme décor un magnifique écrin naturel : des falaises abruptes formant un cirque rocheux font chuter un cours d’eau sur une centaine de mètres. Rideau argenté, draperies liquides et mouvantes dans un bruit de tonnerre, de vents violents, d’orage. Les goutelettes me semblent devenir myriade de comètes à la queue blanche et vaporeuse : pluie de comètes sur la jungle. En contrebas un bassin arrondi les recueille dans un halot de brume comme une grosse marmite dans laquelle, sous l’action de quelque sorcellerie naturelle, l’ajout d’un nouvel ingrédient dégage une fumée annonciatrice de magie.
quelle magnificence, bravo Fred, tu as su capter cette lumière celeste!