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« Parlez-moi de Phnom Penh...

« Voilà une ville qui ne vous fait pas languir. Son caractère est sur ses toits. Phnom Penh est un troupeau de buffles dressés sur leurs pieds de derrière et provoquant de leurs cornes l’implacable cuirasse du ciel »

Albert LondresVisions orientales, Le serpent à plumes

« Quant à ses toits, couverts de céramiques dorées, ils ont des cornes à tous les angles, mais des cornes très très longues, qui s’inclinent, se redressent, menacent en tous sens ! A côté de ces cornes-là, celles des pagodes chinoises vraiment paraitraient rudimentaires, à peine poussées ; on dirait que plusieurs taureaux géants ont été décoiffés pour orner l’étrange temple »

Pierre LotiUn pèlerin d’Angkor


Nous posons le pied en terre cambodgienne, directement au cœur de la capitale à la descente de notre bus. Et cette arrivée a de quoi nous déboussoler… passer des quatre mille îles au Laos à Phnom Penh c’est un peu passer d’un petit village de l’Ain un dimanche après-midi à Paris un soir de victoire de coupe du monde ! La ville grouille, fourmille, s’active en tous sens. Nous sous sentons un peu perdus mais savons que nous aurons tout le temps d’apprivoiser la « perle d’Asie » : Phnom Penh sera notre camp de base pour notre exploration du Cambodge, le point où il faut sans cesse revenir avant de se lancer dans une autre direction, ce qui s’explique largement par le réseau routier étoilé du pays. Multiples retrouvailles et aller-venues qui nous feront sillonner la ville, choisissant différents quartiers pour poser les sacs, déambulant du lac Boeng Kak au quai Sisowath, de la pagode d’argent et du palais royal aux marchés, des cours de cuisine aux soupes de nouilles, des grandes artères aux ruelles minuscules et encombrées, des librairies aux cliniques, des terrasses où la bière est fraiche aux quais vivants et animés à toute heure du jour et de la nuit.

Le quai Sisowath est l’un des endroits que nous aurons préférés ; il permet à la fois de s’oublier dans la contemplation du fleuve, magique après l’orage lorsque le soleil revenu fait naître simultanément plusieurs arcs-en-ciel au-dessus de ses eaux, et d’embrasser la vie et l’animation de ses abords, marchands ambulants, passants oisifs ou pressés, lieu de rendez-vous le soir pour se retrouver autour d’un foot ou d’une bière, espace pour le réveil et le sport collectif à l’aube lorsque fleurissent les groupes d’aérobic et de tai-chi.

Mais c’est au lac Boeng Kak que nous avons eu notre plus belle vue sur la ville. C’est une guesthouse de ses abords qui nous a accueillis pour notre première nuit au pays des Apsaras. Après l’agitation de la descente du bus, le slalom entre tous les conducteurs de tuk tuk interpellant le client, le trafic dense et la conduite sportive de notre chauffeur, un dédale de ruelles labyrinthiques comme un village dans la ville, nous avons échoué sur une terrasse surplombant quelques centimètres d’eau avec tout autour la ville en arrière-plan, devant nous un ban de sable et sur un des côtés d’autres maisons pieds dans l’eau surplombées par une mosquée à la coupole redorée par un soleil déclinant. Et le calme pour se perdre dans cette vue incroyable sous une immensité bleue bourgeonnant de nuages rosissant. Une vue qui n’existe que pour quelques mois encore, ses jours sont comptés, un compte à rebours est lancé. D’après le jeune homme qui s’occupe de l’auberge une société coréenne a racheté le lac et s’active déjà à le combler, ce qui explique le ban de sable sur lequel semble posée la ville en miniature. Les habitants des maisons sur pilotis ont été sommés de partir, un peu d’argent de poche pour compenser la perte et la destruction à venir de leurs maisons. Bientôt des hôtels et des centres commerciaux trôneront là où s’étendaient le lac, bouchant à jamais cette vue magique. Où iront s’installer les citadins délocalisés, où migreront les guesthouses du lac ? L’inquiétude est partagée entre les propriétaires et les employés qui savent déjà qu’ils auront à chercher une nouvelle place quelque part. Le cuisinier d’un restaurant nous fait ainsi part de ses craintes. Lui reste tout la semaine à Phnom Penh pour nourrir sa famille qui est installée dans la campagne et qu’il ne voit qu’une à deux fois par mois. Le travail manque là où sont sa femme et son fils et lui va bientôt perdre le sien. Il nous explique que beaucoup de travailleurs comme lui vivent la semaine là où ils travaillent. Il a appris à tout cuisiner pour le plaisir des touristes, des plats khmers bien sûr, mais aussi les pizzas et les burgers. Et que pense-t-il des plats occidentaux qu’il mitonne pour les backpackers de passage ? « J’ai appris à les préparer mais je ne peux pas les manger. Moi j’ai besoin de ma portion de riz et des parfums de la cuisine khmère ». Au pays des araignées frites, on peut goûter de tout mais non manger n’importe quoi !

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