Somewhere on the road in Java

Quand on roule à moto il faut entrer dans la ruche, bourdonner de conserve, se mêler à l’essaim d’insectes vrombissants et pétaradants qui sont les rois, les vrais maîtres de la route. Virevolter, zigzaguer, tournoyer avec virtuosité… La moto et la voiture c’est un peu le lion et le moucheron de La Fontaine.
Voilà les bestioles aux grosses têtes arrondies et luisantes au soleil qui enserrent, encerclent, dépassent, se faufilent, énervent les grosses carrosseries. Les 4 roues ont l’avantage de la force, c’est leur moyen de pression, leur argument pour s’imposer. Les 2 roues sont comme des moustiques que l’on voudrait chasser de la main. Mais leur nombre les rend invulnérables, et c’est un combat perdu d’avance…
Certains ont emprunté à des divinités hindoues, insectes mutants aux innombrables pieds et autant de bras qui dépassent, débordent de leur corps motorisé. A la différence des abeilles il n’y a, sur l’asphalte, aucune discipline ; un même objectif mais pas de but commun, pas de projet unificateur. L’élément travaille pour lui, trace sa propre route. Nous voilà partie du bazar.

 

Sur la route

Nous le quittons souvent ce bordel, dès que possible. Il est l’apanage des villes et des grosses artères. Nous sommes à la recherche du chemin de traverse plutôt que de la route, de notre liberté plutôt que de la vitesse. Et tant pis, ou plutôt tant mieux si ça rallonge. Loin du tournoiement infernal d’anonymes qui se frôlent et s’ignorent, nous guettons la rencontre, le regard, le sourire.
Le voyage… la destination en est une excuse, ce qui importe c’est le trajet
.

 

Par-ci par-là

De Dieng à Gedung Songo, de Gedung Songo à Selo, de Selo à Prambanan, nous traçons notre itinéraire, nous ne sommes plus abeilles mais araignées, nous tissons notre toile de rencontres et de découvertes. Nous évoluons dans des paysages superbes de forêts et de terrasses dessinant des demi-cercles. Comme quoi les amphithéâtres servent bien à toutes les cultures ! La pluie nous rejoint souvent dans l’après-midi. Nous avons pris le pli. Rien ne vaut l’observation pour se construire ensuite une expérience. Quelques gouttes et on s’arrête. En 2 minutes nous voilà waterproof de la tête aux pieds, parés pour ruisseler.

A Gedung Songo nous consacrons une matinée à déambuler parmi de petits temples isolés. Le brouillard est de la partie ; il masque les volcans mais installe une sensation de mystère autour des édifices… C’est sûr il s’y trame des choses… Une ouverture dans le sol souffle l’haleine de la terre en volutes de fumée ; exhalaisons aux odeurs d’œuf pourri. Nous découvrons un bassin thermal d’eau chaude où nous infusons avec délice pour 3 kopecks.

Nos étapes dans les petits warungs délicieux au bord de la route sont toujours l’occasion de faire de belles rencontres… Avec la cuisine javanaise et les tenanciers sympathiques ! Au fil des km nous perdons de notre superbe, nous accumulons de la crasse et une odeur de moisi : rien ne sèche…C’est une marque de politesse que d’être toujours bien mis, sus à la saleté ! Espérons alors que nous n’avons pas choqué sur la route, faute de change histoire d’alléger la moto…

Jusqu’à Selo le paysage promettait d’être époustouflant ! Nous n’en saurons rien en fait. Le brouillard nous rappelle que c’est l’automne en France.
Nous nous arrêtons pour déguster des fraises vendues par des jeunes filles sous un abri de bambous. Téléphone portable en main elles enchaînent les mêmes hits que nos ondes radios. Magie du non prévu, de l’inattendu…
Le brouillard n’a rien volé finalement, nous voilà aventuriers lancés à l’aveuglette…

 

Au fil des rencontres…

Sur un petit chemin la vision de trois grands-mères piquant du riz nous arrête. Elles acceptent notre aide d’un sourire. Pieds nus dans la boue nous faisons de notre mieux pour prendre le coup de main, faire d’un geste un trou avec le pouce pour y déposer les tiges d’un vert tendre. Il faut garder le rythme. Étrange gravité qui fait pencher la tête de nos brins et de nos brins seulement… Des spectateurs amusés nous consolent et nous emmènent faire des ablutions dans une source proche. Le petit groupe grossit. Une femme joyeuse et taquine nous guide à moto jusqu’à notre route tandis que le soleil se couche. Elle nous serre sur son giron en guise d’adieu.

D’autres chemins d’autres rizières.
Tout un groupe travaille sur la terrasse d’une maison. Nous voilà sitôt invités à nous asseoir parmi une famille en pleine fabrication de classeurs. Tour du propriétaire de la petite entreprise familiale spécialisée dans le cuir : les rouleaux de peaux, l’atelier accolé à la maison à l’odeur de clou de girofles (odeur des kreteks, les cigarettes indonésiennes). Des presses, des peux teintes, des machines à coudre… ça perce, troue, assemble, colle dans une chaleur d’enfer !

 

Dans les environs de Borobudur c’est une maison étrange qui nous fait poser béquille à terre.
Juste à côté un Bouddha géant achève de naître de la glaise sous les doigts de Mehdi.
Cet accoucheur de divinité, non content de nous offrir l’hospitalité de son abri et les fruits de la besace nous emmène à la rencontre du propriétaire de la demeure atypique voisine, futur asile de son Bouddha.

Elle est en forme d’appareil photo Canon jusque dans les moindres détails (d’après les spécialistes qui m’escortent).
Elle est née de l’imagination d’un artiste chinois, passionné de peinture et de photos, qui la rêve en galerie d’art, maison et temple privé.

 

 

Le village d’à côté est tout entier voué à la poterie.
Sur chaque terrasse des tours en mouvement et des mains qui transforment l’argile en toutes sortes d’objets qui seront envoyés à Sumatra. On nous propose d’essayer. Bienveillance de notre professeur qui nous fait réussir des stupas miniatures et des bols comme s’ils étaient nos œuvres propres. Au froufrou du tour s’ajoute la cacophonie bruyante d’enfants appliqués qui s’entraînent à répéter leurs sourates dans une salle mitoyenne.

Le hasard d’un dérapage (contrôlé bien sûr) nous fait stopper devant la maison d’un dalang de wayang kulit. Nous voilà sitôt tirés à l’intérieur, abreuvés et nourris. Devant les marionnettes dort un gamelan. Nous le réveillons pour un bœuf collectif. Fous rires devant mes essayages de costumes de danse traditionnelle. Puis au tumulte succède le calme. Nous sommes tous aspirés par la télévision :  une grande fenêtre ouverte sur les champs et une montagne qui joue les stars du crépuscule et se pâme dans des drapés roses, orangés et rouges brûlants.

Eve & Fred

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  • J'Adore la petite dame qui rit à plein éclat sur votre photo principale. Elle fait une tâche super difficile physiquement et son éclat de rire a l'air tellement sincère alors que nous on ronchonne assis bien confortablement sur nos chaises de bureau! Bon je dois avouer qu' on a pas tous ce beau décor qu'ils ont par contre et que vous nous rendez si bien. :)

    • Oui elles étaient toutes les 3 magnifiques, 75 ans de moyenne d'âge et elles passent la journée plié en deux. Une leçon de plus.

  • Vous avez fait un beau tour de travailleurs ! c'est super !

    Halluciné de la construction habitation / temple en forme d'appareil photo, on verrai pas ça ici :)

    • Eheh c'est fou non ?!? On est tombé dessus au hasard d'un tour à moto. Il a fallu qu'on plisse les yeux un paquet de fois pour bien être sûr de ce que l'on voyait.
      Et le propriétaire n'est pas du tout photographe mais peintre. Il a même prévu la mollette de l'appareil et le cadran qui sera une fenêtre.
      J'ai hâte de la voir terminée car elle doit être entièrement peinte et sa description semblait assez "psyché".

  • Merci pour votre blog, l’information est très pertinente! Tenez-moi au courant des prochaines publications.

  • Magnifiques photos. Encore en Amérique latine, j'avoue que cela me donne envie de prendre l'avion dès ce soir. Récit qui me rend rêveuse, photos qui me rendent jalousement heureuses. Continuez à nous faire rêver ;-)

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Eve & Fred